Stefan Lemny et Jordi Savall - le 30 novembre 2010, Eglise Trei Ierarhi, Iasi
Écrire un livre sur Cantemir en français et en France paraît au départ une entreprise irréaliste. Les grands éditeurs commandent aux auteurs les livres qui pourraient attirer un large public. Les auteurs qui s’obstinent à écrire les ouvrages de leur propre choix sont très souvent condamnés à recourir aux Maisons d’édition qui publient au compte d’auteur et qui n’assurent pas une diffusion efficace dans le grand réseau des librairies. Cela aurait pu être le destin du livre Les Cantemir, s’il n’y avait pas eu le soutient d’un ami, Antoine de Baecque , directeur des Editions Complexe et l’aide financière de l’Institut culturel roumain de Bucarest ! Ces circonstances réunies ont favorisé la publication du livre en avril 2009.
C’était le premier ouvrage sur Dimitrie Cantemir paru en Occident (à l’exception du traité très savant d’Owen Wright sur la musique de Cantemir, publié en Angleterre en 1992-2000) le premier livre en français à ce sujet et sur la double biographie de Dimitrie et de son fils Antioh. Ainsi, cette contribution aura vu son but se réaliser : celui de faire connaître en Occident les personnalités de ces princes roumains du siècle des Lumières.
Mais qu’est ce qu’un livre dans l’océan de l’édition mondiale ou française ! ? Le fait que la préface soit écrite par un historien de la taille d’Emmanuel Le Roy Ladurie, l’illustre représentant des Annales, dans la lignée de Lucien Febvre et Fernand Braudel, constitue une chance supplémentaire pour que l’ouvrage soit dans l’attention du grand public. Une bonne diffusion dans le réseau des librairies assurée par le Groupe Vilo, auquel les Editions Complexe appartiennent, a fait le reste.
Mais le fait que le livre sur Cantemir ait réussi à se faire un certain chemin en dehors du milieu des spécialistes est avant tout le résultat d’une rencontre heureuse. Un message reçu peu après la publication du livre de la part de Jordi Savall me faisait part de la joie qu’éprouvait « le roi de la musique baroque » lorsque, se trouvant en pleine période de préparation de son CD avec la musique de Cantemir, un projet auquel il travaillait depuis de nombreuses années, il a découvert dans une librairie l’ouvrage sur Les Cantemir.
L’invitation qu’il m’a transmise de collaborer à son livret se présentait comme une occasion inattendue qui s’ouvrait à un historien d’être à côté d’un grand musicien dans l’évocation de Cantemir ! Et quel musicien, s’agissant de Jordi Savall ! J’ai pu ensuite assister avec émotion au succès que le CD « Istanbul » a rencontré auprès du public mélomane. Ce n’était pas bien évidemment la première interprétation musicale des compositions de Dimitrie Cantemir. Mais grâce au célèbre interprète catalan, la musique du prince a raisonné davantage dans les oreilles des amateurs de musique de partout.
L’historien peut batailler longtemps pour faire connaître la vie et l’œuvre d’une personnalité. Malgré tout, ce chemin est fastidieux et souvent risqué. Le hasard a fait que Jordi Savall, artiste dont on connait la renommée internationale et dont la création musicale enregistre aujourd’hui un souffle nouveau, soit en même temps un chercheur minutieux des partitions anciennes qu’il mette en valeur en leur donnant une nouvelle interprétation. C’est ainsi qu’il a découvert un jour à Istanbul les manuscrits de Dimitrie Cantemir et qu’il a décidé de les travailler en vue d’une interprétation moderne avec son ensemble Hespérion XXI. J’ai assisté au concert de Jordi Savall et de son ensemble Hespérion XXI à la Cité de la musique de Paris : cela a été un triomphe ! Un triomphe réitéré sur d’autres scènes dans les grandes villes et capitales du monde jusqu’à Istanbul !
Mon livre sur les Cantemir a eu très vite la chance de donner lieu à une traduction en roumain réalisée avec passion et compétence par Magda Jeanrenaud pour les Editions Polirom. Le 29 novembre a eu lieu son lancement à Iasi, à la Bibliothèque centrale universitaire. Mais ma joie fut plus grande encore quand j’ai vu se concrétiser l’action du Centre culturel français de Iasi, animé par José Maria Queiros pour organiser un concert de Jordi Savall à Iasi. La passion des organisateurs pour la musique en général et pour l’interprétation de Jordi Savall en particulier a été déterminante dans ce choix. Mais comment oublier que grâce à cette passion, la musique de Dimitrie Cantemir a pu résonner un instant dans la ville du prince, la ville de son règne mais aussi de son éternel repos ? Tout comme les spectateurs d’autres grandes villes européennes, les spectateurs de la Philharmonie de Iasi ont eu ainsi l’occasion de vivre le soir du 30 novembre des moments de bonheur et apprécier l’interprétation par l’ensemble Hespérion XXI, dirigé avec maestria par Jordi Savall, de la création musicale du prince moldave.
J’ai ainsi contribué, par mon travail d’historien, à cette rencontre heureuse. Et j’ai vécu moi-même à cette occasion des retrouvailles émouvantes avec Jordi Savall : nous nous étions rencontrés précédemment à Paris, mais à Iasi, nous avons pu nous revoir, peu après le concert, dans un lieu hautement symbolique pour notre sujet : l’église Trei Ierarhi, devant la pierre tombale de notre héros. Il ne pouvait pas y avoir un hommage plus riche en signification au moment même où, hasard du calendrier, on compte 300 ans de l’avènement du prince au trône moldave. Car cet hommage est sous le signe de multiples rencontres, symboliquement repris du message que Dimitrie et Antioh Cantemir ont légué à leur postérité : rencontre entre la musique et l’histoire, entre les cultures et les peuples, entre le public de Iasi et les interprètes venus des plusieurs pays (Espagne, Grèce, Arménie, Turquie, Israél… ), rencontre avec la France , organisatrice principale de cette manifestation par l’intermédiaire de son Centre culturel de Iasi et, enfin, rencontre entre Jordi Savall et moi-même.
http://www.jurnalul.ro/timp-liber/arte/libertate-pentru-istorie-562839.html
Autres sources sur l’événement de Iasi :
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