Alexandru Zub est un prodigieux historien roumain par la richesse de son
œuvre et par sa présence médiatique. Sa thèse monumentale sur les
préoccupations historiques d’un distingué homme d’Etat de la Roumanie moderne, Kogălniceanu istoric, publiée en 1974,
est, par son style et par son érudition, un chef-d’œuvre de l’histoire de
l’historiographie. Depuis cette date jusqu’à nos jours, l’auteur a considérablement
renforcé cette direction de recherche en publiant des travaux de référence, s’ouvrant
en même temps à d’autres domaines d’étude, notamment l’histoire culturelle.
C’est dans cette large perspective historiographique qu’Alexandru Zub a fait
paraître plusieurs études et essais au fil du temps sur Dimitrie Cantemir, réunis
maintenant dans un seul volume sous le titre Cantemiriana.
L’intérêt de ce recueil est principalement historiographique. L’analyse
de l’œuvre du prince savant sous l’angle de ses méthodes et de sa conception
historique est au cœur de cet ouvrage : c’est le cas de ses textes qui portent
sur les « règles d’or » énoncées par Cantemir en rapport avec
les exigences de l’historien, sur la causalité en histoire et sur la vérité
historique.
Mettant les préoccupations historiographiques de Cantemir dans un contexte
historiographique plus large, Al. Zub ouvre un autre volet de cette
problématique. Son étude « Sur la modernité de l’historiographie roumaine
au XVIIIe siècle » publiée en 1980 en français dans la Revue des études sud-est européennes, et
traduite ici en roumain, garde en ce sens toute sa valeur pour la pertinence et
l’acuité de ses interprétations.
Enfin, du même registre historiographique relèvent les études et les
articles concernant la « réception » de l’œuvre de Cantemir par les
historiens du XIXe et XXe siècle. Les textes regroupés dans ce volume évoquent trois
moments décisifs : le moment des premiers efforts d’interprétation et de
publication de l’œuvre du prince éclairé en roumain, à plus d’un siècle de la disparition
de l’auteur ; le moment de l’évocation de Cantemir à l’Académie roumaine en
1923, à deux siècles de sa mort – on notera les pensées d’une remarquable
originalité du grand historien et archéologue roumain Vasile Pârvan (autre
sujet d’étude de Alexandru Zub) ; in
fine, le moment 1973 quand, à trois siècles de sa naissance, la
personnalité de Cantemir a donné lieu à de multiples commémorations.
Ce dernier moment semble aussi le plus significatif grâce à plusieurs
manifestations internationales et grâce surtout au réputé historien Virgil
Cândea qui a initié le projet d’édition scientifique des travaux de Cantemir. C’est
aussi dans ce contexte qu’Al. Zub a apporté ses premières contributions à ce sujet,
par le biais des communications présentées à des colloques scientifiques –
celui organisé par Paul Miron à Freiburg i. Br. qui a fait date dans
l’historiographie –, mais aussi par des études publiées dans les revues
de spécialités et par des articles parus dans la presse culturelle : 14
sur les 22 textes qui composent ce volume datent de ces années.
L’intérêt de ces pages est inégal, tel que le reconnaît l’auteur
lui-même. Il semble difficile, en effet, de mettre sur le même plan une étude publiée
dans une revue de spécialité avec un article paru dans une revue de culture
générale ou avec un article occasionnel écrit pour les colonnes d’un quotidien
local. Mais ces divers textes, même s’ils reprennent parfois le même contenu, ne
manquent pas pour autant d’intérêt : ils constituent une illustration de
la manière dans laquelle l’historien Al. Zub a compris son rôle dans la presse,
dans le respect de la rigueur, de la clarté et de l’élégance de l’écriture. De
ce point de vue, les textes publiés par Al. Zub dans les années 1970, en plein
régime communiste, constituent le témoignage d’un contexte anniversaire
particulier qui a beaucoup contribué à réveiller l’attention sur l’héritage de
Cantemir. D’où, l’intérêt d’insister désormais sur la signification de ce moment
dans l’historiographie cantemirienne.
Al. Zub souligne d’ailleurs la nécessité d’une recherche plus
systématique de la « réception » de l’œuvre de Cantemir dans la culture
et, en général, dans la société roumaine. C’est l’occasion de rappeler d’autres
études ponctuelles à ce sujet, en particulier celles de Sorin Iftimi, Aducerea osemintelor lui Dimitrie Cantemir
de la Moscova la Iaşi (1935), Ed. Ştiinţa, Chişinău, 2008 et Andi
Mihalache, « Politica şi patrimoniu. Documente privitoare la aducerea osemintelor
lui Dimitrie Cantemir la Iaşi (iunie-august 1935) », Anuarul Institutului de Istorie A.D.Xenopol, tom XLV, 2008,
p.345-364.
Parmi les autres suggestions proposées par Al. Zub en vue de la
poursuite des recherches autour de Cantemir, on retiendra aussi son idée lancée
en 1973 dans son admirable essai « Meditaţii cantemiriene », repris
dans Cantemiriana : elle porte sur
l’utilité d’une anthologie des aphorismes de Cantemir. Cette idée, trouvera-t-elle
le travailleur passionné pour l’accomplir ? Elle le mérite pleinement. Car
le talent des grands historiens est très souvent illustré par l’originalité de
leur style à synthétiser des idées profondes dans des images impérissables.
Cantemir en est un bon exemple. Ses aphorismes, abondamment cités par
Al. Zub, le montrent : c’est le cas de cette belle image de la vérité,
« ochii, sufletul si viata istoriei » [« les yeux, l’âme et la
vie de l’histoire »] et d’autres jugements d’une remarquable plasticité dans
la langue de Cantemir : « Lucrurile înainte mergătoare trebuie oglindă
să fie celor napoi următoare » [« Les choses qui progressent doivent
refléter celles qui les ont précédées »], « Sufletul odihnă nu poate
afla până nu găseşte adevărul » [« L’âme ne pourra pas trouver repos
avant de découvrir la vérité »] etc.